Souvenirs, souvenirs

Quatrième l’année dernière, Thierry Chambry a confirmé ces derniers mois sa très belle progression et postule cette fois à une place sur le podium. Il raconte ici sa course 2006.Un témoignage exceptionnel de ce que vivent les hommes de tête.

Le départ

« Je suis invité à me placer en élite sur la ligne de départ. La meute est lâchée. Je suis dans les dix premiers sur un rythme assez facile. Aucun favori n’est devant et aux environs du PK 5 alors que la route commence à grimper tranquillement, bizarrement je suis en tête sans forcer. Personne ne me suit. Premier ravito : c’était prévu je ne prends rien. PK 11 environ : Christophe Jaquerod me double, je ne bronche pas vu le client… Je lui dis qu’il est devant et je reste une cinquantaine de mètres derrière. Deuxième ravito : je fais le plein de ma poche et les choses sérieuses commencent avec le sentier qui relit basse vallée à Foc Foc. Nous sommes un groupe de quatre avec Christophe Jaquerod, Wilfrid Ouledi, Patrick Elisabeth et moi. Après deux heures de course Ouledi accélère et part seul devant. Je pense être toujours bien, puisque j’arrive à parler sans problème. Au bout d’environ 20 minutes je commence à ressentir le froid, je suis en cuissard et maillot manches courtes, alors je décide d’accélérer légèrement. Jacquerod me laisse filer à la rencontre de Wilfrid Ouledi que je rattrape à la sortie de la végétation à environ 1800m d’altitude. Je reste une dizaine de minutes avec lui puis je reprends la tête de la course seul, sans me mettre dans le rouge.

En tête au Volcan

J’aperçois l’éruption dans le fond de la nuit. C’est magique ! Il est environ 4h30 du matin lorsque j’atteins le ravito de Foc Foc. Il fait environ 0 degré et il me reste 7 kilomètres de terrain presque plat mais très accidenté avec des roches volcaniques qui ne pardonnent pas en cas de chute. J’ai une frontale un peu faible et je recherche beaucoup le balisage dans un petit brouillard. Je commence à croire à un passage en première position au volcan. Je suis au bord des larmes, les frissons l’emportent sur ma raison !

Je sais que tout le monde va penser que je suis grillé mais je m’accorde ce plaisir… Tant pis si je décroche, je finirai ce Grand Raid. A l’approche du poste je suis ébloui par les lumières des photographes et des caméras. Je cherche directement ma femme, mon fils et l’équipe de ravitailleurs pour refaire le plein et repartir. C’est la surprise pour beaucoup de me voir ici en tête. Je reprends une petite foulée avec quelques signaux dans les mollets, des petites crampes, il fait encore noir, je décide de lever le pied en attendant le jour dans une demi-heure. Patrick Elisabeth me reprend. Je cherche à le suivre en trébuchant deux fois, c’est un autre signal. Je le laisse partir devant. Le jour se lève. J’avance sans jamais regarder derrière. Je dois être dans un grand jour, pourvu que cela dure longtemps.

Mare à Boue

Je pointe en deuxième position à Mare à Boue. Je me dirige vers le ravito et réclame mon sac. Le directeur de course est présent et je sens qu’il y à un problème : aucun sac n’est encore arrivé. Jusqu’au prochain point avec mon assistance perso à Cilaos, je dois tourner à l’eau et avec les quatre gels qui me restent. Je dois réduire mon allure face à ce gros risque d’hypoglycémie. J’ai perdu une dizaine de minutes, Vincent Delebarre est passé devant moi et j’amorce l’ascension du Kerveguen peu confiant. Christophe Jaquerod, Wilfrid Ouledi, Christophe Erceau et Dawaa Sherpa m’ont repris. Arrivée au sommet : poste de ravito et contrôle à Kerveguen. Toujours une bonne ambiance. Une petite soupe et je prends la descente périlleuse. J’assure mes appuis sans à-coups, j’ai très peu d’amorti sur les chaussures que j’ai choisi pour la première partie.

Cilaos

Nous arrivons à Cilaos. Je récupère ma deuxième paire de chaussures. Ravito rapide et je prends la route pour le col du Taibit. C’est avec Dawaa Sherpa que je me retrouve dans la descente de Bras Rouge. Nous traversons la ravine sans manquer de se rafraîchir en s’aspergeant d’eau sur la tête et les jambes. Il est 9h et nous sommes en plein soleil pour la première partie du Taibit. J’augmente mon hydratation. Dawaa prend des bâtons de fortune et m’encourage à suivre le rythme, je le décroche mais il est toujours à ma vue. Je le rejoins, une complicité s’installe. Je me retrouve seul dans une allure de marche active avec appuis des mains sur le bas des cuisses. A 200 m du sommet, je rejoins Patrick Elisabeth. Nous basculons ensemble dans le cirque de Mafate, un endroit ou j’adore m’entraîner.

Mafate

Petite descente vers Marla. Patrick Elisabeth ne suit pas et je retrouve Dawaa Sherpa au poste de ravitaillement pour une petite soupe, du sel et un verre de coca. Je repars dans sa foulée. Direction Roche Plate, j’ai 30 minutes d’avance sur mon tableau de marche. Les kilomètres s’enchaînent et j’ai l’impression d’avoir pris un train. Je fais ma route. Aucun passage à vide ne vient perturber ma détermination. Quel bonheur ! Il y a encore du chemin : îlet des orangers, îlet des Lataniers puis passerelle pour la nouvelle boucle dans Mafate. C’est un mur qui se dresse devant nous. Il fait chaud. Je suis toujours avec Dawaa quand nous arrivons au poste de Grand Place l’école. Sa poche à eau est percée. Je le dépanne en lui donnant un bidon. Encore une soupe et on repart pour une succession de montées et descentes. Nous nous relayons à tour de rôle. Beaucoup de gens connaissent Dawaa et le mitraillent de photo. Il traine un peu au ravito d’Aurère. Je pars devant car je commence à avoir froid. Il ne me retrouvera qu’au poste de Deux Bras. J’attrape mon sac assistance pour refaire le plein, un tube de guarana que j’ai du mal à avaler. Je tousse… C’est reparti pour un autre mur : la montée de Dos d’Âne. J’amorce cette portion assez rapidement alors que la nuit approche. Dawaa décroche, je ne le reverrai plus. Je mets 1h39 pour rejoindre le stade et retrouver ma femme que j’ai vu la dernière fois à Mare à boue.

Dos d’Âne

Je repars sur les sentiers, les dernières montées dans une nuit bien noire. Roche Vert Bouteille, Piton Bâtard et Kiosque d’Affouches. Tout passe sans grandes souffrances hormis quelques ampoules aux pieds. Derrière moi, ça bouge. Nico Dijoux semble revenir. Je ne traîne pas dans le quartier et prend la route forestière. Pour la première fois depuis le départ je commence à regarder souvent derrière moi. Pas de frontale à l’horizon. Je me mets la pression en me disant qu’il ne reste que treize bornes. Ce n’est pas ici que je vais perdre une place alors que je suis sur mes terrains d’entraînement. Le parcours est en descente progressive avec quelques toutes petites montées qui calment bien après 130 kilomètres dans les mollets. J’arrive au Colorado. Personne ne revient sur moi.

L’arrivée

Dernier ravito. Ma femme me donne le tee-shirt obligatoire de la course. Je vois soudain arriver à fond une frontale qui n’a pas suivi le même tracé que moi en prenant un petit raccourci péi. C’est Nico Dijoux. J’ai franchement la pression et je repars en marchant avec lui en demandant, comment on fait. On la joue à la régulière ? Nico me répond qu’il aimerait une arrivée main dans la main. Je refuse car je connais une partie du règlement. Il est plus âgé que moi, il sera classé avant moi et un billet pour l’Ultra Trail du Mont-Blanc est en jeu. Il nous reste une descente très technique de cinq kilomètres. Je prends les devants. Nico Dijoux me colle sur les deux premiers kilomètres avant qu’il ne chute assez lourdement sur le côté. Je reviens sur lui pour m’assurer qu’il n’y a rien de grave. Il a très mal. Je reste un instant avec lui puis je file vers la Redoute qui me tends les bras pour une 4e place au général. A la sortie du sentier, sous le pont, mon fils et son copain prennent la foulée avec moi. Mes proches et mes amis mais sont là. C’est l’entrée dans le stade, il est 23h30, soit 22h30 de course. Je pose les pieds sur la piste cendrée pour un demi-tour en semi sprint. Que du bonheur !

C’est fini, je lève des bras rageurs sur la ligne. »