Récit de la Diagonale des Fous 2008 de Joël (dossard 776 )

Pour ma sixième participation au Grand Raid de La Réunion, j’avais plusieurs objectifs.

Terminer, bien évidemment, mais en essayant de faire mieux que l’année passée (38h40 et 233ème) et surtout optimiser au mieux deux choses : le poids du sac et les temps d’arrêt.
On va beaucoup moins vite à l’arrêt, et il est inutile de porter du poids pour rien, non ?

Idée : ne pas prendre de sac à dos, même très léger, mais une simple ceinture porte bidon.
Je choisis donc le modèle « bottlepack easy go » de chez Raidlight : 385gr

Je fais deux ou trois sorties en simulation GRR avec le matos obligatoire et deux bidons de 0.6L. Poids total sans l’eau = 850gr.
Bien que pas très agréable pour courir sur le plat avec les bidons pleins, dès que j’arrive sur le sentier en marche rapide j’apprécie la légèreté de l’ensemble et surtout le fait de ne rien avoir sur les épaules. Pour courir les parties roulantes, je prends les bidons à la main.
Option porte bidon validée !

Me voilà donc à nouveau au départ de ce satané GRR. Le jeudi 23 octobre à minuit ou le vendredi 24 à 0h si vous préférez, les fous sont lâchés !
Positionné à l’avant du « parc » coureurs, juste derrière les élites, je me dégage facilement de la foule et entame les trois premiers Kms à un bon 13 ou 14 km/h, mes bidons à la main

On tourne à gauche pour prendre la piste forestière de Mare Longue qui doit nous amener au début du sentier du volcan, 15km plus loin. Là, je passe en mode footing léger avec 1’ de marche toutes les 10’. Malgré un changement de piles imprévu et un ravito pas si optimisé, je pointe au début du sentier après 1h55’ d’effort.
A suivre une longue remontée sur un petit single monotrace où il est pratiquement impossible de doubler. Je me cale dans le rythme et ça monte très bien sans à coups.
Foc-foc en un peu moins de 5h, c’est vraiment tip top. J’arrive au gros ravito de la route du volcan (km 30) en 5h46. km 30. Pointage : 423ème. Yes ! Contre 700 l’an dernier, c’est bien joué !

Petite pause : Luciano est là. Je change le bonnet contre une casquette, je me ravitaille vite fait et je repars tranquillement en alternant marche et course. Il faut penser à s’économiser dès le début, après, il sera trop tard. Je profite encore une fois pleinement du paysage lunaire de la Plaine des Sables. L’oratoire Sainte Thérèse et son magnifique point de vue sur la rivière de l’est et la descente vers le Chalet des Pâtres se font sous un beau soleil. La forme est là, tout va bien.
Le temps se gâte et c’est sous un petit crachin (une farine comme on dit ici) que j’arrive au poste de « Mare à Boue ». Il est 8h23, km 50. 384ème. Les parents de Sandrine sont là et m’installent sur un pliant afin que je ravitaille en toute quiétude. 10’ d’arrêt aux stands, façon F1, et je repars. Je rattrape mon copain Cédric qui était avec nous au Népal. Là, ça m’inquiète un peu, car normalement je ne devrais pas revenir sur lui en côte… Il gère me dit-il.
Je file à mon rythme, toujours très content de mon choix de matériel. Je suis très léger, le dos libre, c’est très agréable ! Après « Coteaux Maigre » j’ai un petit coup de moins bien dans Kervegen, mais je ne suis apparemment pas le seul et ça va durer jusqu’au point culminant de la course, au gîte du Piton des Neiges, alt. 2400m. Km62 / 11h36 / 316ème.
Je fais une petite pause de 5’ avec option soupe chaude et cul sur une chaise.
Tiens l’ami Rudy du forum ADDM : salut ! alors ? Ben il pense arrêter à Cilaos, afin de profiter de ses vacances avec sa douce et tendre plutôt que de finir cloué sur un transat à la plage pour le restant de son séjour. Salut l’ami !
Je file sur Cilaos, avec au programme une belle descente de 800m

Cilaos : km 69 / 276ème / 13h07 : c’est 1h30 de gagné sur le même parcours que l’an dernier. Yes !
Les parents de Seb sont pour nous assister. Je retrouve Yann qui a déposé son dossard, plus envie, pas les jambes, et mon ami Bruno, mais lui c’est normal, on finit toujours pas faire pas mal de kilomètres ensemble sur toutes les courses. Tiens, il y a aussi mon pote Stéphane Denis, un peu déçu par son tempo, mais qui repart vaillamment.
Bon, j’avais dis « optimiser les arrêts ». Et voilà, malgré tout ce sera 39’ de pause à Cilaos mais je me suis changé, restauré légèrement et je repars frais comme un gardon après avoir pointé 262ème .

Allez, une petite descente tranquille du côté des anciens thermes et ce sera la terrible remontée vers la route « d’îlet à cordes » puis vers le col du Taïbit, porte de Mafate.
Je rattrape Muriel Denis avec qui j’avais fini l’an dernier, petite mine, mal au genou
Allez Muriel, ça va aller.

Dans la dernière remontée vers la route alors qu’un mauvais crachin vient nous arroser, je retrouve Steph. Denis, qui boîte, profil bas, un bâton à la main. « ben alors » ? Il me montre ses jambes ensanglantées. Il s’est emmêlé les pinceaux dans les galets glissants et a bien failli basculer dans le vide. Il s’est rattrapé, a pivoté face à la paroi et a fini sa course sur les genoux, à reculons. Aïe ! Il est inquiet pour son genou qui a bien gonflé et décide d’arrêter là l’aventure. Pas sérieux de rentrer dans Mafate blessé. Salut Steph….

Je ravitaille au pied du Taïbit en 2’.
15h12 / km 76 / 235ème.

Je pars sur le sentier en mode économique. Pas la peine de s’affoler, il y a 800m à grimper.
Finalement ça passe sans problème et je peux pointer à Marla, km 82 / 210ème moins de deux heures plus tard. La pluie fine n’a pas cessé. Je file. Prochain objectif : roche plate où nous attendent nos ravitailleurs de choc J. Louis et Stéphane (encore un).
La portion Marla / Trois Roches se fera sans soucis ; je suis pratiquement tout seul sur le sentier. Quelques raiders me dépassent dans les petites bosses, moi je gère à mon rythme. La descente sur Trois Roches et surtout l’arrivée à ce ravito est plus que glissante. La nuit vient de tomber.
Tiens ! mais c’est Bruno ! J Nous repartons ensemble avec un autre raider. Il faut traverser la Rivière des Galets, et bien entendu, compte tenu de la pluviométrie récente, le gué est un peu submergé. Bien que le bain de pied ne soit pas si désagréable, c’est pas bon pour la suite ça. On repart en faisant des splotch splotch, la frontale et la pluie sur la tête.
On va dire que le GRR commence là cette année.


Pour rejoindre « Roche Plate », il y a trois petites bosses à passer. Je suis en tête et mes copains restent derrière moi ; ils s’économisent à mon rythme de sénateur. Un autre groupe de trois nous double. Enfin, la dernière longue descente sur roche plate. Un mauvais pierrier gluant, piégeux à souhait, avec une frontale peu efficace dans cette purée de pois. Bruno qui est repassé devant semble s’endormir derrière l’autre groupe qui semble-t-il ne connaît pas le coin.
« pardon, pardon » je passe devant et Bruno enquille derrière. 2’ après les autres ont disparu. Descente tout en glissades et autres pirouettes, je m’amuse bien, Bruno suit.
Roche Plate / km 95 / 19h55 / 186ème
J’avais dit à J.Louis que je serai là à 20h !

Bon, on se pose, un peu cassés, bien mouillés. Je me déchausse, histoire de faire respirer la plante des pieds qui ressemble… plus à rien
Nos ravitailleurs s’activent : remplissage de bidon, crème anti frottement, remplacement des emballages vides par des barres énergétiques et autres gels glucidiques, et même un petit bout de saucisse grillée.
J’ai un peu froid. J’enfile un ts manches longues que je garde pour repartir. Bruno commence à faire la gueule, mais ça va aller, c’est un roc indestructible !
On discute en descendant vers le fond de Mafate. Chemin technique et très dangereux. Vigilance obligatoire. Deux ou trois bosses et nous voilà au lieu dit « le bloc » au pied de la terrible remontée verticale sur Grand Place. A l’entraînement, je mettais 25’. Là il m’en faudra 55 !!! Je suis cuit. Chaque pas, chaque marche est un calvaire. Il ne pleut plus, mais je ruisselle de sueur. Au sommet je retrouve Bruno, les bras en croix dans le gazon. Oté ! lé raide le zafair’
Allez, on va aller se poser un peu au prochain bivouac, ça sera pas volé !
Grand Place l’école / km103 / 23h21 / 207éme.
2h50’ pour faire 8kms
On se cale sous une couverture, en demandant aux infirmières du coin de nous réveiller à minuit. Je ferme un œil… que je ré ouvre à minuit moins deux.
« Allez Bruno !! En piste ! »
« mouais… j’arrive »
Et c’est reparti, dans le brouillard, pour une partie de montagnes russes avec option « précipices, ne pas tomber ». Ça glissouille pas mal par endroits, faut rester vigilant. C’est pour ça que j’ai voulu dormir un peu à Gd Place.

Aurère / km 112 / 26h40 de course / 215ème : 2h30 pour faire 9 km, c’est mieux…
Simon, le fils d’une amie est là pour nous aider. Il change mes piles pendant que nous nous faisons soigner les petons à l’infirmerie. Badigeon de crème hydratante obligatoire.
Encore trop d’arrêt, mais un peu de confort, c’est pas si mal à cette heure-ci.
Il est 3h du mat dans cette deuxième nuit sans sommeil, ambiance …

Normalement, là, c’est gagné. Pas de gros bobos, pas trop sommeil malgré tout, tout va bien.
Je trace devant, décidément Bruno traîne les pieds cette année J Je le motive et l’interpelle régulièrement, faudrait pas qu’il bascule dans le ravin. Je le soupçonne de dormir en marchant.
Je me remets à courir dans la descente, ça va le réveiller

Après un passage de gué avec de l’eau jusqu’au genoux du côte de La Porte nous arrivons en vue du gros ravito de Deux bras. J’entends Bruno qui jure après un dernier bain de pieds forcé et nous voilà enfin dans le campement militaire de « Deux Bras plage ». Tu parles d’une plage. C’est d’un glauqu !

28h40 de « course » / km 121 / 206ème
C’est bientôt la fin de la nuit des morts vivants, le jour va bientôt se lever, il ne pleut plus, et j’ai des affaires sèches qui m’attendent.
Douche sommaire sous un tuyau d’eau, change complet : short / t-shirt / casquette / chaussettes et chaussures sèches, ça c’est trop bon. Je vais quand même faire un tour chez les podologues qui me conseillent un petit arrêt au stand, histoire de voir ce qu’ils peuvent encore faire pour mes pneus usagés

Bruno me cherche : lui, il a fait une pause au rayon « carri poulet ». Créol i manz ça !!
Allez, c’est reparti. 29h29 / 205ème. Le jour se lève. Chaussé à neuf, tenue fraîche et propre, bon d’accord, on doit pas avoir une si bonne tête que ça, mais y’a plus qu’à s’avaler les 800m de d+ de dos d’âne, les 200 pour le stade, les 300 pour piton fougère, les 200 du piton bâtard…. Et les quelques bosselettes des goyaviers. 26km, même pas peur !

Direction Dos d’âne. Je passe devant (Bruno va encore faire la sieste derrière moi J) et enclenche la première petite, le crabo, le blocage de différentiel… et j’attends que ça passe.
1h30 pour arriver à l’église, c’est pas mal. Puis ½ h pour rallier le ravito du stade de dos d’âne.
31h34 / km 128 / 204ème
Encore une fois nous avons nos ravitailleurs perso.
Hervé m’aide à remplir ma poche à eau (ah oui, parce que là je vire mon porte bidon et je prends un tout petit sac à dos pour finir, plus cool pour courir à donf dans les dernières descentesJ)
Flore s’occupe du dos un peu râpé de Bruno.

Je suis prêt avant lui et repars devant : « tu me rattraperas dans la montée » ce qu’il fait quelques minutes plus tard. Mais je le sens un peu « avarié » comme on dit ici. Allez Bruno !
Je relance le plus souvent possible. Bruno suit, mais en grimaçant : il a mal aux pieds, mal au dos, et aussi un peu plein le c..l de cette histoire ! J
Dos d’âne / kiosque d’affouche : 1h45’ !!! je commence à m’intéresser de plus près à ma montre. « Bruno ! on peut arriver avant midi, donc en moins de 36h, et rentrer dans les 200 je suis sûr »
« pfff…. » me répond-il, vachement motivé….
« allez Bruno, on arrive là, faut foncer, faut pas mollir ! »
Je crois qu’il me suit pour me faire plaisir plus que pour autre chose.
Mais bon, je l’attends. Ça fait quand même plus de 15 heures qu’on galère ensemble.
Je commence à piaffer !
Colorado / 35h08 / km 142 / 198ème ! Yes ! t’as vu on est repassé dans les 200 ! Bruno s’en fout de mes histoires, il en a marre, il a mal aux pieds, il a sommeil, alors 200, 300, 3000, il s’en fout royalement.
Pas moi ! Un copain d’infortune nous a rejoint à ce dernier ravito. Je vois qu’il cale là avec Bruno. Bon, il est plus tout seul. « Allez Bruno, j’y vais moi, hein ! » « vas-y, vas-y, je suis cuit »
Je repars donc, le couteau entre les dents. Il me reste 52’ pour rallier l’arrivée avant midi. Ça va être chaud, mais c’est faisable.
Justement, deux raiders viennent de repartir devant moi. Je fonce, je les enrhume en passant, je cours même dans la montée de terre rouge du chemin 4×4, je m’arrache ! Les filaos, gymkhana géant dans la forêt, et puis enfin, la dernière descente technique dans le pierrier.
Gino, un copain me double comme un avion : « oté, ou ça ou ça va!? »
« je me presse, on peut rentrer avant midi !! »
Tiens, si on s’amusait un peu…
Et nous voilà parti à tirer la bourre comme des gamins, complètement euphoriques, à relancer sans cesse, comme dans un bon entraînement de fartlek, à part que là, on a 145km et 9200m de dénivelés dans les pattes ! J’arrive à le passer en coupant dangereusement les derniers lacets dans l’éboulis, mais il me reprend au sprint, à la loyale, dans les derniers 500m de route.
Les passants nous regardent foncer vers le stade de La Redoute un peu étonnés. Sont vraiment fous ces raiders !
On rentre sur le stade à 15 à l’heure ! Gino me met 10″ … sur 147km !

Oui, mais contrat rempli : il est 11h57’ !!!

35h 56′ 31″ / 195ème / 12ème V2

On est morts… de rire ! Les hôtesses attendent que l’on ait fini de nous congratuler pour nous remettre notre belle médaille.
Je pars m’écrouler sur la pelouse. Bruno arrive 10’ après, épuisé. Bravo Bruno !

Et si on se tapait une bonne Dodo ?!